Titre latin : De Reductione 
Artium ad Theologiam (écrit de 1269-1270) 
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Takeru
Prologue 
 1. "Tout don excellent et toute donation 
parfaite viennent d'En-Haut, ils descendent du Père des lumières", ainsi écrit 
saint Jacques au premier chapitre de son épître. Dans ce texte, il est question 
de la source de toute illumination, en même temps, il suggère que cette lumière 
primordiale est la source généreuse d'où proviennent les multiples lumières. 
Même si toute l'illumination de notre connaissance est intérieure, il est 
cependant raisonnable d'introduire la distinction suivante : il existe une 
lumière extérieure, celle de l'habileté technique, une inférieure, celle de la 
connaissance sensible, une intérieure, celle de la connaissance philosophique, 
une supérieure, celle de la grâce et de l'Ecriture Sainte. La première éclaire 
les formes créées par l'homme, la deuxième la forme naturelle, la troisième la 
vérité intelligible, la quatrième et dernière la vérité qui nous sauve. 
Première partie 
 2. La première lumière éclaire les formes 
créées par l'homme qui lui sont comme extérieures et furent inventées pour 
suppléer aux déficiences de son corps. Elle reçoit le nom de lumière de 
l'habileté technique : la condition de celle-ci est en quelque sorte celle d'un 
esclave, elle est dépourvue de la noblesse de la connaissance philosophique, 
aussi peut-on correctement la qualifier d'extérieure. Elle se diversifie en 
fonction des sept arts mécaniques dénombrés par Hugues (de Saint-Victor) dans 
son Didascalicon  : l'art textile, l'armurerie, l'agriculture, la chasse, 
la navigation, la médecine, les spectacles. On peut ainsi montrer que cette 
énumération est exacte : toute technique apporte un soulagement ou un réconfort 
; on peut encore dire : elle vise à supprimer une peine ou un besoin, elle est 
utile ou agréable, selon le vers d'Horace . Les poètes veulent rendre service ou 
charmer. Et ailleurs :  Qui joint l'utile à l'agréable remporte tous les 
suffrages. Pour soulager et faire plaisir, on a les spectacles, ils constituent 
l'art des divertissements de toute sorte, chant, musique instrumentale, 
littérature d'imagination, exercices physiques . En visant le confort ou 
l'amélioration du sort de l'homme, on peut le couvrir, le nourrir ou lui 
procurer ce double réconfort. S'il s'agit de le couvrir, on utilise un matériel 
souple et mou, c'est l'art de la laine, ou un matériel dur et résistant, c'est 
l'armurerie ou l'art du forgeron, qui comprend la fabrication de tout ce qui 
peut protéger, qu'il s'agisse d'objets réalisés en fer, en un métal quelconque, 
en bois ou en pierre. S'il s'agit du réconfort de la nourriture, il est double, 
car nous mangeons des plantes et des animaux ; les plantes sont l'objet de la 
culture, les animaux celui de la chasse. Ou encore : s'il s'agit du réconfort de 
la nourriture, on peut distinguer la production et la multiplication des 
aliments, c'est la culture, et la diversité des préparations qu'ils subissent, 
c'est la chasse qui englobe toutes les manières d'apprêter mets, boissons et 
condiments savoureux, c'est l'affaire des boulangers, des cuisiniers et des 
restaurateurs. On applique toutefois à tout cela le nom qui en désigne une seule 
partie en raison de sa prééminence et de sa noblesse . Si l'on veut fournir à la 
fois soulagement et réconfort, deux cas se présentent : ou l'on satisfait un 
besoin, c'est la navigation, qui englobe tout le commerce des marchandises 
destinées au couvert et au vivre ; ou l'on supprime un obstacle, c'est la 
médecine, qu'elle consiste à fabriquer des remèdes, potions ou pommades, à 
soigner les blessures ou à pratiquer des amputations, comme le fait la 
chirurgie. Les spectacles, eux, ne rentrent dans aucun groupe. On constate que 
le tableau ainsi dressé est complet. 
 3. La seconde lumière, dont la clarté nous 
fait saisir les formes naturelles est celle de la connaissance sensible. On 
l'appelle à juste titre inférieure. Elle commence, en effet, par le bas et 
s'effectue grâce à la lumière corporelle ; elle se divise en cinq selon le 
nombre de nos sens. 
 Augustin, au troisième livre de son 
Commentaire de la Genèse, démontre ainsi l'exactitude de ce chiffre en 
s'appuyant sur la nature de la lumière dans les éléments : la lumière, ou la 
clarté, qui permet de distinguer les objets matériels, ou bien possède au plus 
haut degré ses caractéristiques, elle est pure, c'est alors le sens de la vue ; 
ou elle se mélange à l'air c'est l'ouïe ; ou à des vapeurs, c'est l'odorat ; ou 
à des liquides, c'est le goût ; ou à la terre grossière, c'est le toucher. Le 
fluide  sensible possède, en effet, la nature de la lumière, aussi agit-il 
dans les nerfs qui sont naturellement clairs et translucides, de là il se 
diversifie dans les cinq sens selon sa plus ou moins grande purification. Puis 
donc qu'il existe dans le monde cinq corps simples, les quatre éléments et la 
quintessence , pour permettre à l'homme de percevoir toutes les formes 
corporelles, il possède les cinq sens correspondants : il n'y a, en effet, pas 
de connaissance si l'organe et son objet n'ont pas entre eux une ressemblance et 
quelque chose en commun, car chaque sens est une nature bien définie. Il existe 
encore une autre méthode pour comprendre l'exactitude de cette énumération, mais 
celle-ci a le suffrage d'Augustin et elle semble logique : en effet, 
l'exactitude y est établie grâce à la convergence des rapports entre organe, 
milieu ambiant et objet des sens. 
 4. La troisième lumière qui nous éclaire pour 
nous faire pénétrer les vérités intelligibles, est celle de la connaissance 
philosophique ; on l'appelle intérieure, car elle recherche les causes intimes 
et non apparentes  en utilisant les principes des sciences et de la vérité 
naturelle, qui sont de soi innés chez l'homme . Elle comporte trois parties, une 
rationnelle, une naturelle et une morale ; on peut ainsi établir l'exactitude de 
ce chiffre : il y a vérité dans le discours, vérité dans les choses, vérité dans 
la conduite. La philosophie rationnelle envisage la vérité du discours, la 
naturelle celle des choses, la morale celle de la conduite. Ou encore : dans le 
Dieu suprême, on peut considérer sa causalité efficiente, formelle ou 
exemplaire, et finale, car il est la cause de l'existence, raison de la 
connaissance et règle de vie " . De même en est-il dans l'illumination de la 
philosophie : elle éclaire pour faire connaître les causes de l'existence, c'est 
la physique ; les raisons de la connaissance, c'est la logique ; ou la règle de 
vie, c'est la morale ou philosophie pratique. Voici une troisième base de 
division : la lumière de la connaissance philosophique éclaire nos facultés 
intellectuelles et cela dans leur triple rôle, diriger l'activité, c'est la 
morale ; se diriger elles-mêmes, c'est la physique ; diriger l'expression, c'est 
la science du discours, en vue d'éclairer l'homme à l'égard de la vérité de sa 
vie, de celle de ses connaissances, de celle de leur transmission . 
 Il y a trois manières d'exprimer en 
un discours ce que l'on possède en soi : faire connaître la pensée que l'on a 
dans l'esprit, entraîner de plus autrui à 1'accepter, faire naître en lui des 
sentiments d'amour ou d'aversion. En conséquence, la philosophie du discours ou 
rationnelle comporte trois parties, la grammaire, la logique et la rhétorique. 
La première sert à s'exprimer, la seconde à enseigner, la troisième à émouvoir. 
La première concerne la raison en tant qu'elle comprend, la seconde en tant 
qu'elle juge, la troisième en tant qu'elle entraîne. Comme la raison comprend 
grâce à la correction du discours, juge grâce à sa vérité, émeut grâce à son 
élégance, cette triple science envisage dans le discours ces trois caractères. 
Notre intelligence doit juger en se guidant d'après les raisons formelles. On 
peut les envisager à trois points de vue : par rapport à la matière, on les 
appelle alors raisons formelles ; par rapport à l'âme, on les appelle raisons 
intellectuelles  ; par rapport à la sagesse divine, on les appelle raisons 
idéales. En conséquence, la philosophie naturelle se divise en trois parties, la 
physique proprement dite, la mathématique et la métaphysique, en sorte que 
l'objet de la physique est la production et la destruction des choses, en 
fonction de leurs propriétés naturelles et des raisons séminales, celui de la 
mathématique les formes susceptibles d'abstraction, en fonction des raisons 
intellectuelles, celui de la métaphysique la connaissance de tous les êtres en 
les ramenant à leur unique principe premier dont ils sont sortis, en fonction 
des raisons idéales, autrement dit à Dieu en tant que principe, fin et 
modèle  (des discussions se sont toutefois engagées entre métaphysiciens à 
propos de  ces raisons idéales). Enfin, le gouvernement des puissances 
motrices doit être examiné à trois points de vue, celui de la vie individuelle, 
celui de la famille, celui de la foule des sujets. Aussi, la philosophie morale 
se divise-t-elle en trois parties, l'individuelle, la domestique et la 
politique, que l'on distingue de la manière susdite, comme leur nom même 
l'indique . 
  
 5. La quatrième lumière qui éclaire 
à l'égard de la vérité qui nous sauve, est celle de l'Ecriture Sainte ; on 
l'appelle supérieure parce qu'elle nous entraîne vers les plus hautes réalités 
en nous faisant connaître ce qui dépasse notre raison, et aussi parce que nous 
ne pouvons la découvrir mais qu'elle doit nous être révélée d'En-Haut par le 
Père des lumières ". En la prenant au sens littéral elle est unique, mais en 
fait, elle est triple en raison de son sens mystique et spirituel. Dans tous les 
livres de l'Ecriture Sainte, en effet, on saisit, outre le sens littéral, celui 
qu'expriment les mots mêmes du texte, un triple sens spirituel : l'allégorique 
nous enseigne ce qu'il faut croire de la Divinité et de l'humanité, le moral 
nous enseigne comment vivre, l'anagogique comment nous attacher à Dieu. Ainsi, 
toute l'Ecriture Sainte nous enseigne ces trois points : la génération éternelle 
et l'incarnation du Christ, la règle de vie, l'union de Dieu et de l'âme. Le 
premier concerne la foi, le second la conduite, le troisième leur fin commune. 
L'efFort des docteurs doit s'acharner sur le premier, celui des prédicateurs sur 
le second, celui des contemplatifs sur le troisième . On apprendra le premier 
surtout chez Augustin, le second surtout chez Grégoire, le troisième chez Denys 
; après Augustin vient Anselme, après Grégoire, Bernard, après Denys, Richard 
(de Saint-Victor), car Anselme est maître en raisonnement, Bernard en 
prédication, Richard en contemplation. Quant à Hugues, il excelle à la fois dans 
les trois. 
  
 6. De tout ce que nous avons dit, il ressort 
que, si la lumière qui descend d'En-Haut comporte quatre parties d'après une 
première division, il en existe cependant six espèces différentes : la lumière 
de l'Ecriture Sainte, celle de la connaissance sensible, celle de l'habileté 
technique, celle de la philosophie rationnelle, celle de la philosophie 
naturelle, celle de la philosophie morale. Ces six illuminations existent dans 
la vie d'ici-bas et un soir leur succède, car toute la science sera détruite ". 
C'est pourquoi vient après elle le septième jour, celui du repos, qui ne connaît 
pas de soir, c'est l'illumination de la gloire céleste. 
 7. Il est donc tout indiqué de ramener ces 
six illuminations aux six productions ou illuminations qui sont le cadre de la 
création du monde . La connaissance de l'Ecriture Sainte correspond alors à la 
première des productions, celle de la lumière, et ainsi de suite dans l'ordre. 
De même que toutes provenaient d'une seule lumière, de même toutes ces 
connaissances s'ordonnent à celle de l'Ecriture Sainte, y sont incluses et y 
trouvent leur perfection, puis, à travers elle, s'ordonnent vers l'illumination 
éternelle. La conclusion est que toute notre connaissance trouve son achèvement 
dans celle de l'Ecriture Sainte, surtout dans son sens anagogique, par lequel 
l'illumination est reportée en Dieu dont elle a tiré son origine. C'est donc là 
que le cercle se referme, que le nombre six est complet et qu'ainsi on parvient 
à l'achèvement. 
Deuxième partie 
 8. Il nous faut maintenant voir comment les 
autres illuminations de nos connaissances doivent toutes se ramener à la lumière 
de l'Ecriture Sainte. Nous commencerons cet examen par l'illumination de la 
connaissance sensible  tout entière consacrée à la connaissance de ce que 
peuvent percevoir les sens. Il faut en considérer trois éléments, le milieu 
ambiant, l'exercice et le plaisir de cette connaissance . En examinant le 
milieu, on y verra le Verbe, sa génération éternelle et son incarnation dans le 
cours du temps. En effet, aucun objet sensible ne met en mouvement la puissance 
cognitive, sinon grâce à une image qu'il engendre, comme les parents engendrent 
leur enfant ; ainsi doit-il en être pour tous les sens, de façon générale, dans 
la réalité ou au niveau d'un modèle d'être. Mais cette image ne mène pas à son 
terme l'acte de sensation, si elle ne s'unit à l'organe et à la puissance. Quand 
cette union se produit, une perception nouvelle se réalise et à travers celle-ci 
il y a un renvoi à l'objet par l'intermédiaire de cette image. Bien que l'objet 
ne soit pas continuellement perçu, il n'en produit pas moins continuellement, en 
ce qui le concerne, son image, ce qui fait partie de sa perfection. De la même 
manière, apprends-le, de l'Esprit suprême, que peuvent connaître les sens 
intérieurs de notre esprit, émana éternellement sa ressemblance, son image, son 
fils ; ensuite, " quand vint la plénitude des temps ", celui-ci s'est uni à un 
esprit et à un corps humain, ce qui n'avait jamais eu lieu encore. Par lui, tous 
nos esprits sont ramenés à Dieu, quand, par la foi, ils reçoivent dans leur 
coeur cette image du Père. 
 9. Si l'on considère maintenant l'activité 
des sens, on y verra une règle de vie. En effet, chaque sens exerce son activité 
sur son objet propre, évite ce qui lui est nocif, n'annexe pas ce qui lui est 
étranger, ainsi le sens du coeur mène une vie bien réglée quand il agit à 
l'égard de ce qui est son objet en combattant la négligence, évite ce qui lui 
est nuisible en combattant la concupiscence, n'annexe pas ce qui lui est 
étranger en combattant l'orgueil , et vivre selon la règle est vivre dans la 
prudence, la tempérance et la soumission pour fuir la négligence dans les 
actions, la concupiscence dans les désirs, l'orgueil devant ce qui nous 
dépasse. 
 10. Si l'on 
considère ensuite la satisfaction obtenue, on verra l'union de Dieu et de l'âme. 
Chaque sens recherche en effet avec avidité le sensible qui lui convient, il le 
trouve avec joie et y revient sans lassitude, car " l'œil ne se rassasie pas de 
voir, ni l'oreille n'est saturée d'entendre. De la même manière, le sens de 
notre coeur doit se mettre avidement en quête de ce qui est beau, harmonieux, de 
bonne odeur, doux au goût ou au toucher, le découvrir avec joie et le rechercher 
sans cesse . Telle est la manière dont la connaissance sensible contient, sous 
une forme cachée, la sagesse divine et telle aussi la merveilleuse contemplation 
des cinq sens spirituels dans leur conformité avec les sens corporels. 
 11. La même recherche est à mener 
sur l'illumination de l'habileté technique, tout entière préoccupée de la 
production d'objets fabriqués. Nous pouvons y voir les trois mêmes choses : la 
génération et l'incarnation du Verbe, une règle de vie, l'association de Dieu et 
de l'âme. Pour cela, il faut en envisager la production, le résultat et le 
profit, en d'autres termes, la technique du travail, la valeur de l'objet 
fabriqué et l'utilité du résultat obtenu. 
 12. En examinant la production, on verra que 
l'ouvrier exécute l'ouvrage qu'il réalise grâce à l'image qu'il en a dans 
l'esprit. Il réfléchit sur elle avant de se mettre à l'ouvrage, puis fabrique un 
objet tel qu'il l'a projeté ; du mieux qu'il lui est possible, il donne une 
réalité extérieure à l'oeuvre produite à l'image du modèle qu'il porte 
intérieurement et, s'il pouvait la fabriquer telle qu'elle soit capable de 
l'aimer et de la connaître, il le ferait sans aucun doute. En admettant que cet 
objet pût connaître celui qui l'a réalisé, ce serait grâce à l'image qui a 
dirigé sa fabrication par l'ouvrier, et, au cas où la vision de sa connaissance 
serait trop environnée de ténèbres pour lui permettre de s'élever à un niveau 
supérieur, il lui faudrait, pour parvenir jusqu'à la connaissance de celui qui 
l'a fabriqué, que l'image utilisée pour le réaliser descendît au niveau d'une 
nature qu'il soit capable de saisir et de comprendre. Tout cela doit te faire 
comprendre qu'aucune créature n'est sortie des mains de l'ouvrier suprême sinon 
par l'intermédiaire du Verbe éternel en qui Il a tout organisé "  ; par son 
intermédiaire, il a produit non seulement les créatures qui ont un caractère de 
vestige, mais encore celles qui ont le caractère d'image, pour qu'elles puissent 
lui être semblables par la connaissance et l'amour. Comme le péché avait voilé 
chez la créature raisonnable l'œil de la contemplation, il fut hautement 
convenable  que l'éternel et l'invisible devint visible et prit un corps, 
afin de nous ramener au Père ; c'est ce qu'exprime saint Jean :  Personne 
ne vient au Père sinon par moi v, et saint Matthieu : Personne ne connaît le 
Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler " ; aussi est-il 
dit : Le Verbe fait chair ". En considérant donc l'illumination de l'habileté 
technique dans la production de l'oeuvre, on y verra le Verbe engendré et 
incarné, c'est-à-dire la Divinité et l'humanité, ainsi que toute la foi dans son 
intégralité. 
  
 13. Que l'on considère maintenant 
le résultat atteint, on y verra une règle de vie. Tout ouvrier entend, en effet, 
produire une oeuvre belle, utile et durable. C'est à ces conditions que son 
ouvrage a de la valeur et est acceptable. Par analogie avec ces trois qualités, 
on découvrira nécessairement trois points dans la règle de vie : savoir, 
vouloir, agir avec constance, c'est-à-dire avec persévérance. La connaissance 
rend l'oeuvre belle, la volonté utile, la persévérance durable ; la première a 
son siège daM la partie rationnelle  de l'âme, la deuxième dans le 
concupiscible ; la troisième dans l'irascible. 
  
 14. En considérant le profit obtenu, on 
trouvera l'union de Dieu et de l'âme. Tout ouvrier qui réalise quelqu'oeuvre, en 
effet, cherche ainsi à en tirer de l'honneur, un gain ou une satisfaction ; tels 
sont, en effet, les trois objets possibles du désir, le bien  honnête, le 
bien utile, le bien agréable. C'est dans ce triple but que Dieu a fait l'âme 
humaine, pour qu'elle le loue, le serve, trouve en lui sa jouissance et son 
repos. Il se réalise par la charité " dans laquelle qui demeure, demeure en Dieu 
et Dieu en lui " ; il y a de la sorte une merveilleuse union de laquelle naît un 
merveilleuse jouissance, car, selon la phrase des Proverbes, " mes délices sont 
d'être avec les enfants des hommes ". Ainsi l'illumination de l'habileté 
technique mène vers celle de l'Ecriture Sainte et tout en elle proclame la vraie 
Sagesse. Aussi, avec juste raison, l'Ecriture Sainte utilise-t-elle souvent de 
telles images. 
  
 15. Nous utiliserons encore la même 
méthode pour retrouver ces significations dans l'illumination de la philosophie 
rationnelle qui se préoccupe principalement du discours. Il y a trois éléments à 
y considérer en fonction des trois points de vue sous lesquels on peut 
l'envisager, celui de qui s'exprime, celui de l'expression elle-même, celui de 
qui l'écoute, c'est-à-dire en fonction de sa fin. 
  
 16. Si l'on envisage le discours par rapport 
à celui qui parle, on voit que tout discours exprime un concept mental. Ce verbe 
intérieur est le verbe de l'esprit qui l'engendre ; il est connu de celui qui 
forme le concept. Mais pour être transmis à un auditeur, il revêt la forme d'un 
mot et, grâce à ce revêtement, le verbe intelligible devient sensible ; on 
l'entend extérieurement, l'oreille du coeur de l'auditeur le reçoit ; cependant, 
il reste toujours présent dans l'esprit de celui qui l'exprime. On constate 
qu'il en va de même avec le Verbe éternel : le Père le conçut de toute éternité 
en l'engendrant, selon la phrase des Proverbes " Les abîmes n'existaient pas 
encore et moi j'étais conçue " ; mais pour pouvoir se faire connaître de 
l'homme, être sensible,. il a revêtu une forme charnelle " et le Verbe s'est 
fait chair et il a habité parmi nous ", tout en demeurant dans le sein du 
Père. 
  
 17. Si l'on envisage le discours en lui-même, 
on y verra une règle de vie. Pour sa perfection, il lui faut en effet posséder 
trois qualités : la correction, la vérité et l'élégance. A son exemple, toute 
notre activité doit posséder la mesure, la beauté, et l'ordre  : elle doit, 
dans ses manifestations extérieures, être réglée par la modération, dans 
l'affectivité embellie par la pureté, dans son intention ordonnée et ornée par 
la droiture. La rectitude et le bon ordre de la vie sont en effet assurés par 
une intention droite, des sentiments purs et une activité mesurée. 
  
 18. Si l'on envisage le discours du point de 
vue de son but, celui-ci est d'exprimer, d'enseigner et d'émouvoir . Mais il 
n'existe pas d'expression sans message à transmettre, pas d'enseignement sans 
lumière qui convainque, pas d'émotion sans exercice d'une force, et cela ne se 
réalise que grâce à un message, à une lumière et à une force intérieure 
intimement unis à l'âme ; Augustin en conclut que le seul vrai maître est celui 
qui est capable de communiquer l'information, d'apporter la lumière et de donner 
la force au coeur de qui l'écoute, d'où la formule : Il a sa chaire au ciel 
celui qui instruit le coeur dans l'intimité. Si donc le discours ne fait rien 
connaître sans une force, une lumière et une information qui pénètrent l'âme, de 
même pour que celle-ci s'instruise dans la connaissance de Dieu par sa parole 
intérieure, il lui faut être unie à celui qui est la splendeur de gloire et 
l'aspect visible de sa substance, portant toutes choses par le verbe de sa 
puissance ". Tout cela rend évident le caractère merveilleux de cette 
contemplation, par laquelle Augustin en nombre de ses ouvrages, guide son 
lecteur vers la Sagesse divine. 
  
 19. Cette méthode servira encore à retrouver 
les mêmes caractères dans l'illumination de la philosophie rationnelle qui se 
préoccupe surtout des raisons formelles dans la matière, dans l'âme et dans la 
Sagesse divine. On peut les envisager dans trois perspectives, celles du rang 
qu'elles occupent, de l'effet qu'elles causent, des modalités d'union ; ces 
trois points de vue nous font retrouver les trois vérités annoncées. 
  
 20. En les considérant d'après le rang 
qu'elles occupent, on y verra le Verbe éternel et le Verbe incarné. Les raisons 
intellectuelles produites par abstraction sont en quelque sorte intermédiaires 
entre les séminales et les idéales. Or, les raisons  séminales ne peuvent 
se trouver dans la matière sans y provoquer l'apparition et la production d'une 
forme, de même dans l'âme les raisons intellectuelles sans qu'il y ait 
production du verbe dans l'esprit ; en Dieu, donc, selon les règles de 
l'analogie, pas de raisons idéales sans production du Verbe par le Père. C'est 
là, en effet, une grandeur et, si elle convient à la créature, à bien plus forte 
raison peut-on inférer qu'elle existe chez le Créateur, ce qui fait dire à 
Augustin que le Fils est l'art du Père. Autre argument : la matière est le siège 
d'un appétit orienté vers les raisons intellectuelles, de sorte qu'il ne peut y 
avoir de génération parfaite sans l'union de l'âme à la matière corporelle. On 
peut donc raisonner ainsi par analogie : la souveraine perfection, la plus noble 
de tout l'univers, ne peut se réaliser si la nature dans laquelle existent des 
raisons séminales, celle où existent les raisons idéales, celle où existent les 
raisons intellectuelles ne se réunissent pour constituer une seule personne ; 
c'est ce qui s'est produit dans l'incarnation du Fils de Dieu. 
 Toute la philosophie naturelle proclame donc, 
en fondant sur l'analogie, le Verbe de Dieu né et incarné, pour être à la fois 
l'alpha et l'oméga : il est né au commencement et avant le temps, il s'est 
incarné à la fin des siècles 
 . 
 21. En considérant maintenant ces raisons 
sous l'angle de l'exercice de la causalité, on y envisagera une règle de vie : 
il ne peut en effet y avoir production dans la matière soumise à la production 
et à la destruction sans l'influence de la lumière des corps célestes  qui 
ignorent la production et la destruction, le soleil, la lune et les étoiles. 
Ainsi l'âme ne peut accomplir d'oeuvres vivantes si elle ne reçoit du soleil, le 
Christ, le bienfait de la lumière surnaturelle, si elle n'obtient la protection 
de la lune, la Vierge Marie, Mère du Christ, si elle n'imite les exemples des 
autres saints. Sous ces influences conjuguées, une oeuvre vivante et parfaite 
s'accomplira en elle. Ainsi la règle de vie repose sur ces trois 
éléments. 
  
 22. En considérant enfin ces raisons en 
fonction des modalités de l'union, nous comprendrons comment s'effectue l'union 
de l'âme à Dieu. En effet, la nature corporelle ne peut s'unir à l'âme que grâce 
à l'action de l'humidité, de la chaleur et du fluide  vital qui, tous 
trois, préparent le corps à recevoir de l'âme sa vie. Cela fait comprendre que 
Dieu ne donne pas la vie à l'âme et ne s'unit pas à elle, si elle n'est pas 
mouillée des pleurs de la componction et de la piété, spiritualisée par le 
mépris de tout ce qui est terrestre, réchauffée par le désir de la patrie 
céleste et du Bien-Aimé. Ainsi se cache dans la philosophie naturelle la Sagesse 
de Dieu. 
  
 23. Après les démarches que nous avons 
décrites, on trouve la lumière de l'Ecriture Sainte dans l'illumination de la 
philosophie morale ; celle-ci, en effet, a pour principal objet la rectitude : 
elle se préoccupe de la justice  générale qui, selon la formule d'Anselme, 
est " la rectitude de la volonté ". Ce qui possède la rectitude se reconnaît en 
effet à trois caractères et, grâce à cela, les trois vérités déjà mentionnées 
brillent quand l'esprit envisage la rectitude. On définit d'abord ce qui est 
droit ce dont le milieu est sur la même ligne que les extrémités. Si donc la 
rectitude suprême est en Dieu, pris en lui-même aussi bien que comme principe et 
fin de toutes choses, il faut poser en Lui une personne qui, de soi-même, soit 
un milieu ; de la sorte, il y en aura une qui ne fait que produire, une autre 
qui n'est que produite, celle qui sera au milieu d'elles à la fois produit et 
est produite. Il faut aussi que dans le mouvement de diffusion ' et de 
réintégration des choses, existe un intermédiaire ; celui-ci doit se trouver 
davantage du côté de l'origine dans la difFusion, davantage du côté de celui qui 
fait retour dans la réintégration. C'est par le Verbe divin que les êtres sont 
venus de Dieu, de même faut-il, en vue de leur complet retour vers Lui, que le 
Médiateur entre Dieu et les hommes p ne soit pas seulement Dieu mais encore 
homme, pour ramener les hommes à Dieu. 
  
 24. On appelle encore droit ce qui se 
conforme aux directives reçues. De ce point de vue, la considération de la 
droiture nous fait voir une règle de vie : c'est en effet vivre droitement que 
se diriger d'après les préceptes du droit divin, ce qui se réalise quand la 
volonté de l'homme accepte les commandements nécessaires, les avertissements 
salutaires, les conseils de perfection, afin qu'il expérimente quelle est la 
volonté de Dieu, bonne, donnant la joie et parfaite p. Alors la règle de vie est 
droite car on n'y peut trouver nulle déviation. 
  
 25. On appelle enfin droit ce dont le sommet 
se dresse vers le haut, ainsi l'homme se tient droit. De ce point de vue, la 
considération de la droiture fait voir l'union de Dieu et de l'âme. Puisque Dieu 
, en efFet, est au-dessus de nous, il faut que la fine pointe de l'esprit soit 
dirigée vers le haut. On y parvient quand la partie rationnelle  de l'âme 
accepte la vérité première pour elle-même et pardessus tout, quand l'irascible 
s'appuie sur la souveraine générosité, quand le concupiscible s'attache à la 
bonté. " Qui s'attache " ainsi " à Dieu, est " alors " un seul esprit avec Lui. 
" 
  
 26. Ainsi est évidente la manière dont la 
sagesse divine dans ses multiples aspects, que l'Ecriture Sainte fait clairement 
connaître, est cachée dans toute connaissance et dans toute nature. Non moins 
évidente la manière dont toutes les connaissances sont au service de la 
théologie ; celle-ci prend en conséquence des exemples et emprunte des termes 
qui relèvent de toutes les espèces de connaissance. Evidentes aussi 1'ampleur de 
la voie des illuminations et la manière dont Dieu Lui-même se cache à 
l'intérieur de tous les objets de sensation ou de connaissance. Tel est le fruit 
de toutes les sciences : en toutes, la foi se construit, " Dieu est honoré ", la 
conduite s'organise, on puise ces consolations que donne l'union de l'époux et 
de l'épouse, réalisée dans l'amour. Celui-ci est le but de l'Ecriture Sainte et 
donc de toute la lumière qui vient d'En-Haut. Sans lui, toute connaissance est 
vaine, car on n'atteint le Fils que grâce à l'Esprit-Saint, " qui nous enseigne 
toute vérité, qui est béni dans les siècles des siècles. Amen. 
  
Notes du texte latin: 
l. Jc. 1, 17. 
2. Ib. 
3. 1 Co 13, 8. 
4. Ga 4, 4. 
5. Si 1, 8. 
6. Jn 14, 6. 
7. Mt 11, 27. 
8. Jn 1, 14. 
9. 1 Jn 4, 6 : Qui manet in caritate in Deo manet 
et Deus in eo. 
10. Pr 8, 31. Ces 
paroles sont mises par l'écrivain sacré dans la bouche de la Sagesse 
divine. 
11. Pr 8, 24. 
12. Jn 1, 14 et 18. 
13. He 1, 3. 
14. Ap 1, 8. 
15. 1 Tm 2, 5. 
16. Rm 12, 2. 
17. 1 Co 6, 17. 
18. Ep. 3, 10. 
19. 1 P 4, 11. 
20. Jn 16, 13: Cum autem venerit ille Spiritus 
veritatis docebit vos omnem veritatem. 
21. Rm 1, 25.